« Bonjour à tous, je vous présente Lucie, étudiante en psychologie. Et moi, son Digital ID Wallet émis par le gouvernement pour offrir une large gamme de services d’identité. Je suis en fait un moyen pratique de prouver et de protéger son identité, aussi bien virtuellement qu’en face à face. »1
Ça, c’est le début du clip de présentation du Digital ID Wallet de Thalès, un portefeuille d’identité numérique où tous les documents du quotidien pourront être rassemblés, classés, sécurisés et scannés grâce à un QR code.
Là, c’est Lucie, la vingtaine, jeune fille, active, jolie et responsable, toujours son smartphone à la main, qu’on voit évoluer du lever au coucher, dans une journée où elle devra se scanner 6 fois pour prouver son identité. Lucie est légèrement stressée par son entretien mais son ami Wall-E va lui permettre de passer une bonne journée, sereine grâce à son QR code qu’elle présentera partout. A l’entretien, pour prouver que Lucie, c’est bien elle. Chez le médecin, pour partager son dossier médical et prouver qu’elle a droit à une couverture santé. Au bar, pour prouver qu’elle a bien l’âge légal. C’est pratique, les gens que l’on côtoie n’ont plus besoin d’avoir confiance en nous puisque c’est la technique, infaillible, qui rassure. Un clip simple, efficace, sur trois minutes d’un fond sonore agréable, où les acteurs gardent le contrôle de leurs émotions.Le Digital ID Wallet se veut cool, c’est le meilleur ami de Lucie et ce sera bientôt le nôtre aussi.
Il se présente comme l’un des grands projets de l’État Français en matière de numérique : c’est une initiative dont on n’entend pas parler alors qu’elle est d’une importance capitale. Accouplé à un immense projet Européen d’identité numérique pour tous les citoyens (Juin 2021, la Commission Européenne a acté, pour tous les citoyens européens, la création d’un Digital Identity Wallet)2, il nous permettrait d’éviter la fraude à l’identité et faciliterait nos démarches administratives.
A première vue, il peut paraître simple, efficace et garant de notre sécurité mais très vite, il n’est pas sans rappeler le livre qui a inspiré « 1984 » d’Orwell : « eux » de Zamiatine, écrit il y a un siècle, dystopie où un état totalitaire régit toutes les activités humaines et « fait le bonheur des gens au détriment de leurs libertés individuelles ». Dystopie où chaque citoyen évolue avec son propre numéro donné à la naissance.
Ces projets numériques, ces multiples pass, passeports nous promettent toujours plus de sécurité et de liberté, le combat intarissable de nos démocraties modernes. La liberté de pouvoir boire un verre en terrasse, de faire ce que l’on veut, de devenir ce que l’on veut, tout en étant protégé des menaces extérieures, du terroriste armé d’une kalash, d’un virus, de vagues de réfugiés ou d’une usurpation d’identité. Ils nous permettent aussi d’avoir l’esprit léger, face à cette charge mentale, devenue sujet omniprésent ces dernières années.
Mais qui est Thalès, le promoteur du Digital ID Wallet ?
Cette entreprise française privée au doux nom de savant est spécialisée dans l’aérospatiale, la défense, la sécurité et le transport terrestre. Qui se cache derrière ? Tout d’abord, il y a L’État Français, actionnaire à 25,7 % puis Dassault Aviation, constructeur aéronautique, actionnaire à 24,6 %.3
Derrière tout ça, il y a une volonté pour ces deux acteurs de développer plus d’intelligence artificielle dans notre quotidien. Mai 2021 est un tournant pour l’entreprise qui fusionne avec Atos, leader de la transformation digitale, et qui devient Athéa « la solution européenne à un Big Data souverain » selon ses propres mots.4
Thalès n’est pas à son premier coup d’essai dans cette marche vers le contrôle des peuples. L’attentat de Nice du 14 juillet 2016 lui a permis de suggérer à l’État Français un dispositif de reconnaissance faciale à travers les caméras de la ville.5
Désormais les fichés S pourront être suivis partout, grâce à l’oeil de millions de caméras sur le territoire. Tout cela pour notre sécurité. Parallèlement, avec la mise en place de la carte d’identité biométrique, nos visages sont collectés, stockés dans des banques d’archives, prêts à être utilisés en cas de force majeure. Légalement, l’utilisation de ce dispositif de reconnaissance faciale reste interdit mais jusqu’à quand ?
Le constat que nous pouvons faire au regard de ces dernières années c’est que l’émotionnel pousse nos États occidentaux à passer des lois de plus en plus liberticides et permanentes, toujours pour plus de sécurité.
Le plan « vigipirate », dispositif de lutte contre le terrorisme est devenu notre quotidien. Quoi de plus normal aujourd’hui que de voir des militaires armés de mitraillettes passer dans nos rues, l’arme négligemment pointée sur nos jambes, nos bras ? Comme si tout était normal. Que dire du World Trade Center et de ces images désormais indélébiles qui ont mené à une guerre injustifiée et à un « Patriot Act » américain passé dans l’urgence et très peu soumis au débat … Que dire du « Bataclan » ? Du covid ? De toutes ces menaces invisibles, donc partout, qui nous plongent dans un état de sidération et nous laissent accepter des états d’urgence permanents ? Que penser de la loi sécurité globale, qui autorise l’usage de drones par l’État sur notre territoire ?
Hier le terrorisme, aujourd’hui le Covid-19, demain la menace environnementale... Ces ennemis invisibles, imprédictibles, ce sont les armes de Thalès. Nos peurs, la main qui viendra actionner leurs armes.
Alors que Thalès le sage faisait de la Nature et de ses expériences le centre de sa pensée, Thalès le moderne nous prive lentement de notre capacité à raisonner, nous confine dans son labyrinthe d’automatismes, de technologie, à penser ce qui est bon ou mal pour nous. Le Digital ID Wallet n’est pas un outil hightech comme il le laisse prétendre, il se pose en gardien de nos vies, nous rappelle quand nous faire vacciner, quand partir de chez nous, revenir, prendre des rendez-vous, sous couvert de liberté et de sécurité. C’est un pass sanitaire géant, illimité. Le rêve de tout État Totalitaire.
Se pose alors une réflexion sur ce que nous sommes devenus et ce que nous voulons être..
La pandémie de Covid 19 a avancé d’un pas dans la mécanisation de l’humain. Combien de fois avons- nous entendu des membres de notre entourage s’inquiéter de la perte de leur pass s’ils ne faisaient pas leur dose. « On va me désactiver ». Ironie de langage où c’est la Technique qui nous « désactive » comme des robots, nous, Humains et où le « on » n’a pas d’identité.
C’est exactement l’esprit de ce Digital ID Wallet, notre pseudo meilleur ami. Nous empêchera-t-on de nous soigner convenablement sous prétexte que notre couverture médicale n’est pas à jour ? Quels services, quels devoirs citoyens vont être associés à ce pass ? Qu’adviendra-t-il de nos vies si un matin, nous décidons de ne pas aller à ce rendez-vous de vaccination ? Allons nous être désactivés, mis en marge de la société ? C’est une question à considérer très sérieusement, car si le citoyen a été prêt, sous couvert de « crise » sanitaire, à se faire injecter une substance en AMM conditionnelle, voudra-t-il à l’avenir, subir un contrôle sur ses dépenses énergétiques, sur sa consommation d’essence, ses voyages, son bilan carbone ?
Le pass écolo est déjà dans toutes les discussions.
Le Digital ID Wallet semble être l’aboutissement d’un processus déjà en place depuis longtemps. De la mécanisation du travail au portefeuille numérique de Thalès, l’écart n’est pas si important. La réalité, c’est que nous nous rendons de plus en plus dépendants d’outils sur lesquels nous n’avons absolument aucun pouvoir.
Nos sociétés plongent frénétiquement dans le gouffre de la Technique, sans aucun débat démocratique et éthique. Cela semble être une impulsion qui nous dépasse. Tout simplement car la Technique n’est pas sujet à discussion.
Au même titre que l’ouvrier actionne les rouages de la machine selon un protocole défini, le citoyen valide à travers son QR code un protocole sécuritaire dont il n’évalue pas la portée. Sa responsabilité semble minime puisque nous parlons ici de protocoles indiscutables : protocoles technique, sanitaire, sécuritaire. Tels le conducteur de train qui conduit les futurs victimes des camps, le gardien de l’entrée, qui ne doit qu’ouvrir le grand portail, le soldat qui n’a qu’à appuyer sur le bouton, nous sommes tous les rouages d’un protocole qui ne nous laisse pas voir l’ampleur de la catastrophe à venir. Derrière le Digital ID Wallet, il y a une volonté de la part de l’État de nous déresponsabiliser, de limiter notre marge de manoeuvre, notre libre-arbitre qui font de nous des êtres humains doués de raison et de réduire, de facto, notre participation impulsive au monde. Ce que nous devons comprendre c’est que nous avons tous notre part de responsabilité dans cette transformation du monde et qu’il nous appartient de refuser cette société techno -sécuritaire qui se profile.
Qu’on le veuille ou non, la ruée vers toujours plus de contrôle numérique nous rend spectateur d’une transformation de l’Humain tel que nous l’avons toujours connu. C’est la promesse d’un avenir déstabilisant qui s’offre à nous.
« L’homme est désormais réduit à un animal technique. La force de la technique réside dans le fait qu’il s’agisse de la forme la plus élevée de rationalité aujourd’hui en circulation. Voici en quoi elle consiste : atteindre le maximum de buts grâce à l’emploi minimum de moyens. Il s’ensuit que tout ce qui est surcharge comme langage non analytique, vie émotionnelle, réalités personnelles et expériences psychologiques vécues ne sont considérées que comme forme d’obstruction par rapport aux valeurs de la technique, qui sont efficacité et fonctionnalité. Ce scénario détermine une sorte d’irresponsabilité radicale de l’homme. Cela est dû au fait que pour atteindre les objectifs minimum, j’ai une responsabilité seulement par rapport à mes actions. Je ne dois qu’effectuer des actions déjà prescrites par l’appareil. »6
1 https://www.thalesgroup.com/
3 https://www.thalesgroup.com/
6 Umberto Galimberti e Diego Fusaro: Dialogo sulla tecnica (Jaspers, Heidegger, Anders), 2015
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