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Photographie par Bertrand GUAY / AFP.

Le Nudge

Un outil pour influencer et éduquer les peuples

Par Para-Doxa Elsass, publié le 19/06/2022 à 11h15, dernière mise à jour le 19/03/2023 à 12h25
Catégorie : Doxa Débile
Tags : # Covid | # Nudge | # Propagande | # Confinement |
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Un fléchage sur le sol nous indiquant le chemin à prendre, des cercles distants de plus d’un mètre les uns des autres sur les quais de gares, des passages piétons en relief incitant à plus de prudence… Sans que l’on ne s’en rende vraiment compte, notre paysage urbain est désormais balisé par toutes ces nouvelles installations visuelles.

C’est ce que son inventeur, le philosophe Cass Sunstein et son théoricien, Richard Thaler, auréolé du prix Nobel d’Économie en 2017, appellent le « Nudge » ou coup de pouce en français, une technique marketing, basée sur une étude des comportements, directement venue des États-Unis et qui a pour but, dans un esprit hautement paternaliste, de guider nos actions, nos pensées, vers ce que l’État ou les entreprises considèrent comme le meilleur choix pour tous.

Le nudge est l’outil de prédilection des gouvernants néolibéraux européens qui revendiquent cette nécessité d’éduquer le peuple, considéré comme une masse limitée intellectuellement, qui ne sait pas réellement ce qui est bon pour elle ou pour les autres. Dans son étude sur la gouvernementalité, Foucault décrivait déjà la politique néolibérale comme « un ensemble constitué par les institutions, les procédures, les analyses et les réflexions, les calculs et les tactiques par quoi des conduites sont orientées, canalisées, avec la collaboration pratique du sujet, que celle-ci soit consciente ou inconsciente »1. Foucault appuie ici sur l’aspect primordial du néolibéralisme: « la collaboration, consciente ou inconsciente ». Le sujet doit toujours être convaincu que rien n’entrave son libre-arbitre et qu’il a fait le meilleur choix pour lui-même. Le but du nudge, c’est donc, par la méthode douce, de donner ce coup de pouce dans la direction la plus raisonnable pour tous, tout en faisant croire à la masse qu’elle est entièrement décisionnaire.

Le nudge a envahi nos espaces, qui ne nous appartiennent déjà plus depuis longtemps... Mais pas seulement. Il est partout, insidieux. Dans l’excellente série ARTE « Dopamine », on comprend que le nudge va jusqu’à entrer directement dans la voiture du chauffeur Uber qui se croit libre d’accepter ou non une course et de faire le chiffre d’affaire journalier qu’il veut. « Ce que l’on sait en nudge, c ‘est que rien n’est neutre, tout est manipulation »2. Uber a crée un outil efficace pour lui : « l’autoplay », c’est à dire la suggestion d’une course quelques secondes avant qu’il termine celle qu’il a actuellement. Il a un chiffre à faire, des vacances à booker, une famille à contenter alors il fait le « choix » d’accepter, une dernière course, juste une dernière. Un peu comme le joueur face à la roulette qui se dit que cette fois c’est la bonne. Sauf que depuis toujours, c’est le casino qui gagne et le joueur qui repart bredouille, comme le chauffeur Uber avec sa dernière course à 4 euros.

nudge s’est également infiltré dans la sphère politique. Obama, Biden, Macron, tous ont recours à des cabinets de conseils, spécialistes en sciences du comportement et en marketing. La Macronie en a fait sa panacée, depuis le début du premier quinquennat. Exemple en est, un arrêté consécutif à la loi Pacte de 2019, censée faciliter l’accès à l’épargne retraite pour le citoyen : Le texte oriente l’épargne retraite du français, ce dernier se voyant suggérer un « choix par défaut », sauf s’il le remarque en décochant une case.3

A qui profite le nudge ici ? Aux banques, aux assurances, aux gestionnaires d’actifs comme Blackrock…Macron qui nudgise avec Fink, il y a de quoi se demander si les intérêts du peuple français l’importent réellement.

Avec l’arrivée du Covid et la peur irrationnelle qui s’est abattue sur la France, le nudge a pu, sans aucune difficulté, influencer nos comportements dans ce but assumé des nos gouvernants d’approuver leur politique tâtonnante et de ne pas nous laisser réfléchir à d’autres narratifs possibles.

Dès le début de la pandémie de Covid, les cabinets de conseil de l’Exécutif ont constitué en vitesse des « Nudge Units » chargés de nous faire avaler la pilule du confinement, des couvre-feux plus facilement. Le coup de force a été « l’attestation dérogatoire de déplacement », où c’est le citoyen lui-même qui s’auto-autorise à sortir de chez lui... le signe de sa main. Nous avons attendu nos masques « grand public ». Nous avons fait des files d’attente, les pieds joints sur des croix au sol, nous avons suivi des flèches sans savoir où elles nous menaient. Et même lorsque ces nudges n’étaient plus au sol, nous les respections.

« Les nudges exploitent notre paresse cognitive, principe selon lequel notre cerveau fonctionne habituellement en mode pilotage automatique en préférant les schémas déjà connus aux élaborations intellectuelles nouvelles »4. Dans une situation anxiogène telle qu’une pandémie où notre capacité à raisonner de façon rationnelle est altérée, le nudge ne se présente t’il pas comme un sauveur, nous servant de guide dans un environnement nouveau et « dangereux » ?

Ce nudge deviendra tellement invasif qu’il ira jusqu’à contaminer notre langue. On parlera de « gestes barrières » au lieu de « gestes de précaution ou d’hygiène », de « distanciation sociale » pour parler de « distanciation physique ». Autant de nudges linguistiques qui ont induits en nous de la culpabilité, de l’autodiscipline mais aussi très probablement du contentement à se comporter comme de bons citoyens, soucieux de la santé des autres.

 

Nous avons fait le choix d’utiliser cette novlangue d’État, un peu malgré nous, pour nous décrire en tant qu’individu ou en tant que masse : le cluster ( issu de l’anglais, signifiant groupe de choses semblables qui sont proches les unes des autres, a cluster of stars), le cas contact ( alors qu’un cas en médecine réfère à un sujet déjà malade). Tous ces mots dépouillés de leur sens initial pour nous guider vers la conduite à avoir.

Ce qui pourtant aurait du nous interroger dans cette crise, c’est que ce sont les cabinets de conseil tels que Mckinsey qui ont évalué notre bonne conduite et non pas les grandes instances de santé. Comme le souligne Barbara Stiegler, « Dès les premiers jours de la crise, le président de la République fit en effet ce choix inouï de commencer par écarter tous les dispositifs nationaux de santé publique […] et d’imposer à leur place, hors de tout cadre réglementaire existant, une succession de conseils dépourvus de toute légitimité institutionnelle. »5 On parle de centaines de millions d’euros versés à ces cabinets de conseil alors que l’Hôpital meure toujours en silence.

L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. Thaler croit au nudge éthique, « Nudge for good » qu’il signe lors de chaque dédicace de son ouvrage6. Dès 2008, Sunstein et Thaler ont alerté sur les dérives du « Nudge » qui peut rapidement devenir un « Sludge » (Boue en anglais) s’il est utilisé à mauvais escient. Il faut donc un nudge transparent qui doit toujours pouvoir être contourné.

Mais dans une époque comme la notre, où le pouvoir décisionnel du citoyen est quasi nul, où les États veulent à tout prix nous entraîner sur un chemin que nous ne voulons pas, l’utilisation du nudge ne serait-elle pas une grande manipulation pour nous contraindre à progressivement accepter une réalité que nous n’aurions jamais voulue ? Rappelons nous des mots de Noam Chomsky sur nos démocraties, soit - disant exemplaires en terme de liberté : « Dans les pays totalitaires, l’État décide de la ligne à suivre et chacun doit ensuite s’y conformer. Les sociétés démocratiques opèrent autrement. La ligne n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue.

On procède, en quelque sorte, au lavage de cerveaux en liberté. Et même les débats passionnés dans les grands médias se situent dans le cadre des paramètres implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points de vue contraires. Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace ; il instille la ligne directrice comme l’air qu’on respire. On ne s’en aperçoit pas, et on s’imagine parfois être en présence d’un débat particulièrement vigoureux. Au fond, c’est infiniment plus performant que les systèmes totalitaires. »7

A nous donc de déceler ces nudges, de les contourner, de les critiquer, de les interroger. A nous de les détruire aussi, peut-être, car tant que nous serons humains, nous serons encore capables de raison.


1 Extrait des discours de Michel Foucault au Collège de France, 1978 -1979

2 Audrey Chabal, « Souriez, vous êtes nudgé : comment le marketing infiltre l’Etat », Editions du Faubourg, Avril 2021

3 Benoît Collombat, « Comment le nudge a conquis la Macronie », France Inter, Juin 2021

4 Joséphine Arrighi de Casanova, « Comment les nudges influencent-ils notre vie quotidienne et pourquoi ? » Avril 2020

5 Barbara Stiegler, « De la démocratie en pandémie »,Tracts Gallimard, Janvier 2021

6 Richard Thaler, Cass Sunstein, « Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness », Yale University Press, 2008

7 Noam Chomsky, « Le lavage de cerveau en liberté », entretien pour le Monde Diplomatique, Août 2007


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